Cette communication se propose de présenter quelques informations relatives à trois lieux cités dans la Vida du troubadour par Uc de Saint-Circ lui-même : Saint-Cyr auquel se rattache sa famille, Rocamadour dont le pèlerinage se développe aux XIIe et XIIIe siècles et enfin Montpellier où il alla étudier.
Rappelons que la vie dUc de Saint-Circ (1) commence sans doute vers la fin du XIIe siècle et que la dernière attestation sûre de son existence est datée de 1257. Son uvre littéraire sinscrit entre 1211 et 1253.
Nous nous attacherons à lidentification du lieu dorigine du troubadour en raison de la visite que tenta dy faire, vers 1911, Alfred Jeanroy, célèbre romaniste, professeur à la Sorbonne et co-directeur des Annales du Midi. Nous ignorons qui lui servit de guide mais son passage à Rocamadour et à La Pannonie ne fut pas sans conséquences(2). En effet, à partir du début de la Vida maintes fois éditée dUc de Saint-Circ, Jeanroy écrit après sa venue en Quercy dans lIntroduction à lédition des poésies du troubadour (3):
" Quant à Saint-Circ, dont était originaire le père du troubadour et dont celui-ci prit le nom, lidentification de ce lieu nest pas sans poser quelque difficulté. La seule localité qui corresponde à peu près aux indications données par la Biographie est "la grange de Saint-Cyr", portée sur la carte de létat major no 194 (Gourdon) ; elle nest très distante ni de Rocamadour (5 kilomètres environ au sud-est à vol doiseau), ni de Thégra mais elle nest en aucune façon située al pe de léglise du célèbre pèlerinage : celle-ci est accrochée à mi-pente au rocher calcaire qui domine le cours de lAlzou ; au fond du ravin, il ny a place que pour quelques maisons et un château na jamais pu y être édifié. Cest cependant la seule localité à laquelle on puisse songer, Saint-Cirq-la-Popie (arrondissement de Cahors, canton de Saint-Géry), Saint-Cirgues (arrondissement de Figeac, canton de La Tronquière) et même Saint-Cirq-Madelon (arrondissement et canton de Gourdon) étant beaucoup trop éloignés de Thégra et de Rocamadour. "
Il ajoute en note : " Métant livré à une exploration des lieux, voici ce que jai constaté : la "grange de Saint-Cyr", composée de deux bâtisses où on abrite des troupeaux, est située dans la partie la plus désolée du causse de Gramat ; on ny trouve aucune trace de constructions féodales et lemplacement, sur un plateau découvert de tous côtés et aisément accessible à lest, eût été très peu favorable à lédification dun château fort. Ces masures, situées à 270 mètres daltitude, sont au reste plus élevées que la partie supérieure de Rocamadour (250 mètres environ). Il y a bien, à 2 kilomètres de là, au sud, le château moderne de La Pannonie, mais il est dans une situation très analogue et ne paraît pas non plus édifié sur lemplacement dune ancienne forteresse. Ce que dit le Biographe au sujet de la destruction du château de Saint-Circ a pu lui être inspiré par les vers 4-5 de notre pièce XXXV. En ce qui concerne Thégra, quil aurait pu confondre avec Saint-Circ, cette localité, située elle aussi en plein causse (à 18 kilomètres environ au nord-est de Rocamadour), nest pas davantage "au pied" du sanctuaire. "
" Il semble donc bien que lauteur de la Biographie ignorait tout des lieux quil a mentionnés, ce qui exclut lhypothèse que cet auteur se confondrait avec le poète. Il suffirait, pour avoir une marge beaucoup plus étendue, de supposer que al pe est une faute pour al prep (on trouvera dans Levy quelques exemples anciens de cette forme) ; mais javoue que la correction me paraîtrait bien hardie.- A. J. "
Il est donc indiqué dans la Vida que Saint-Cyr est situé " al pe de Santa Maria de Rocamajour ". Faut-il comprendre " au pied de, auprès " ou " non loin de " comme Jeanroy hésite à le faire ?
Outre le fait que des exemples anciens de cette deuxième forme sont répertoriés dans le Lévy, comme le remarque Jeanroy, lemploi de al pe au sens de " non loin de " est toujours en vigueur à lheure actuelle en Haut-Quercy.
Lorsque St. Stronski, lui aussi spécialiste des troubadours, publie dans les Annales du Midi un article consacré à notre Quercynois peu après la parution de louvrage de Jeanroy et Salverda de Grave, il utilise une documentation nouvelle extraite des travaux de Delpon, Viré et Albe.
Il constate plusieurs choses à partir des documents écrits dont na pas disposé Jeanroy : " 1o) que la grange du Saint-Cyr daujourdhui fut jadis une localité bien plus importante ; 2o) quil y avait là un château fort ; 3o) quil existait une famille qui tirait son nom de cette localité sans en être propriétaire à lépoque du troubadour. Saint-Circ, situé sur la rive gauche de lAlzou, entre Rocamadour et La Pannonie, était au XIIe siècle et longtemps après, une paroisse à part. "(4)
Malheureusement, ne connaissant pas le pays, il ignore tout comme Jeanroy, quil existe deux lieux-dits Saint-Cyr (graphie actuelle) : lun est indiqué " les granges de Saint-Cyr " sur la carte I.G.N., lautre " oppidum ".
Cest sur ledit oppidum quil faut chercher lemplacement de lancienne paroisse de Saint-Cyr avec les ruines du château et de léglise. Si Jeanroy avait eu loccasion de demander sa route à lun des habitants de La Pannonie il aurait pu constater que pour ceux-ci ces deux lieux-dits constituent " les Saint-Cyr ". Il nest pas insignifiant de constater que ce toponyme est employé au pluriel.
Les documents édités par les érudits locaux permettent à Stronski de posséder une meilleure connaissance de Saint-Cyr. Cest un point positif. Ils ne débouchent cependant pas sur des réserves quant à lidentification des lieux par Jeanroy. Stronsky pouvait-il, dailleurs, mettre en doute les affirmations de léminent professeur de la Sorbonne alors que celui-ci avait fait leffort de se rendre sur place ? Jeanroy décrit en fait lactuel lieu-dit " les granges de Saint-Cyr " et non le promontoire comportant des ruines informes, certes, mais repérables et témoignant de ce quil y eut bien là de la vie. Si, vers 1911, il y avait deux granges lune delles, dont la toiture était naguère démolie, a été rénovée et recouverte dun toit en tôle. Elles sont actuellement toutes deux en service.
Comme la remarqué Jeanroy rien ne fait, là, penser à un lieu propice à lédification dun château fort tandis que pour la Carte archéologique de la Gaule, Saint-Cyr est un " promontoire rectangulaire (170 m sur 120 m) qui domine le canyon de lAlzou "(5). Cest là quétait édifié le château dont la famille dUc est originaire. Le souvenir, relevé par Gaston Bazalgues, dune " ville " disparue reste attaché à ces ruines que le " camin de la Reyna " relie au moulin de Tournefeuille sur lAlzou.(6)
La Carte Archéologique de la Gaule présente sommairement le site et une bibliographie des travaux qui lui ont été consacrés. Notre connaissance de ces lieux ne sest guère enrichie depuis le début du siècle. Doù lintérêt du rapport fait par le B.S.P.F. à propos des fouilles de Viré à Saint-Cyr(7) où il est question " de constructions à pierres sèches affectant la forme dune très petite chapelle ou dun four à cuire le pain ".
Nous nous sommes posé la question de lalimentation en eau de cette sorte déperon barré. Il pouvait y avoir des citernes. Grâce à Monsieur Jean Clare, sourcier reconnu, nous avons pu localiser vers lextrémité du fossé, côté Granouillat, une possibilité de puits.
Ajoutons enfin, au-dessus du moulin de Tournefeuille, une source importante qui aurait pu être un lieu de culte ancien. Elle est pétrifiante et une croix est érigée à proximité. De la même manière on peut se demander si le promontoire de Saint-Cyr nétait pas un point de surveillance de la vallée de lAlzou et, surtout, de la voie romaine Limoges-Rodez qui passait de lautre côté de lAlzou, à Roumégouse. Ce site paraît favorable à linstallation et à la protection dune petite garnison militaire.
Quercy Carte du diocèse de Cahors XVIIIe siècle (8) (reproduction partielle)
Après le chanoine Albe et Stronsky remarquons, dans la notice 397 du Cartulaire (1174-1175), une référence à des pacages situés " in parrocchia Sancti Cirici " (9), puis la cession à labbaye par Géraud de Cardaillac, Marie son épouse et leurs trois fils de tous leurs droits certains ou éventuels " in toto honore Sancti Cirici a torrente dAlso in ultra " (notice 689). Elle a été datée par Stronski de 1187 à la suite du chanoine Albe. Il est donc depuis longtemps prouvé que la famille dUc nhabite plus alors le château ou le site dont elle tire son nom.
Le Cartulaire édité par Bernadette Barrière nous renseigne sur la dot monastique faite par Géraud de Saint-Circ et ses trois frères pour leur mère (vers 1150-1159 ?).(10) Lun des frères, Armand, est sans doute le père du troubadour. La notice 102 concerne toujours Géraud de Saint-Circ et ses trois frères mais nindique pas, cette fois, le prénom de ces derniers. Il sagit, vers la même époque, de la cession de tous leurs droits sur la borderie de La Coste. Un Bernard de Saint-Circ est témoin en 1177-1178 (notice 481). Enfin, faut-il rattacher à la famille du troubadour Petrus Pelavicis de Sancto Cirico qui apparaît vers 1143-1153, (notice 61) dans le contexte des donations faites à la grange de Saint-Palavy ?
Le Supplément au Cartulaire se fait lécho, en 1201-1202, de la " confirmation par lévêque de Cahors à labbé dObazine des privilèges par lui détenus sur les églises de Saint-Palavy, Saint-Félix, Saint-Cirq(-dAlzou), Calès, Saint-Pierre de Serre et Carlucet ". En janvier 1249 " Cession par Guillaume de Valette, chevalier, et Guillaumes Hugues et Géraud, son fils, du village dAlzou avec toutes ses appartenances, sis dans la paroisse de Saint-Cirq(-dAlzou) confrontant le village de Frachole de Cavagnac, moyennant 3 sous de rente et 8 deniers dacapte ". Le 27 août 1261 a lieu l " acquisition par labbé dObazine de la borderie de Combe-Longue sise dans la paroisse de Saint-Cirq(-dAlzou) proche de Rocamadour, confrontant les villages du Peyrié et de Fargues. (11)"
Ainsi, si lon prend en compte les sources écrites et lexamen attentif du terrain, il est impossible de mettre en doute lexistence, au XIIe siècle, dune paroisse de Saint-Cyr " al pe de Sainta Maria de Rocamajour ". Celle-ci dépendait de larchiprêtré de Thégra (12). Et dailleurs si Uc se réfère à Rocamadour dont le pèlerinage est alors en pleine expansion cest certainement pour situer sans ambiguïté son lieu dorigine. Il existe plusieurs Saint-Cyr mais il ny a quun Rocamadour.
La recherche par Jeanroy de la paroisse de Saint-Cyr la mis en présence de " la grange de Saint-Cyr ". Ce toponyme aurait dû être pour lui une incitation à découvrir si, outre les granges, quelque autre chose subsistait de ladite paroisse.
Lenquête de terrain nest simple, évidente, quaux yeux de ceux qui ne la pratiquent pas. On peut donc excuser lerreur du romaniste de valeur quest Jeanroy mais il nest pas possible de partager ses doutes quant à lécriture de sa propre Vida par Uc de Saint-Circ lui-même.
Notre troubadour, à moins davoir vécu très longtemps, nest sans doute pas né à Saint-Cyr dont le château pourrait avoir été ruiné lors du sac de Rocamadour par Henri Court-Mantel en 1183. Et cest à Thégra que sa famille a été accueillie. Remarquons toutefois quavant sa destruction et son passage à la famille des Cardaillac, le château de Saint-Cyr était dans la mouvance de la famille des Gourdon. Cela éclaire quelques Vidas écrites par Uc et pourrait en partie expliquer son intérêt pour le catharisme, celui-ci ayant pénétré la famille des Gourdon.(13)
Terminons ce chapitre par les Faidit maintenant que nous savons, grâce à Saverio Guida, quUc de Saint-Circ et Uc Faidit, lauteur du Donatz Proensals, ne sont quune seule et même personne. On trouve des Faidit dans le Cartulaire dObazine et le nom du troubadour Gaucelm Faidit, ce qui avait déjà été signalé dès 1913 par St. Stronski.(14) Selon Jean Mouzat Gaucelm Faidit nétait pas le fils dun bourgeois dUzerche en Limousin comme lindique sa Vida attribuée à Uc de Saint-Circ mais " un cadet ou un puîné dune famille importante de petite noblesse limousine, intégré à la société féodale et courtoise de sa province parti courir le monde "(15). Les Faidit ont été " chevaliers du castrum de Turenne " selon Tibor Pataki(16). Les Saint-Circ et les Faidit gravitaient donc autour de limportante famille des Turenne et se connaissaient.
Dans ces conditions, Uc de Saint-Circ a-t-il choisi le nom dUc Faidit en ne pensant quà son statut dexilé, de faidit, ou en fonction aussi de ses relations avec les Faidit qui existent bien avant la Croisade contre les Albigeois ? Il est difficile de répondre. Et pourquoi aussi Gaucelm Faidit est-il, dans sa Vida, ravalé au rang de bourgeois ripailleur et trop pauvre pour aller à cheval ? Louis Esquieu dans son Essai dun armorial quercynois décrit ainsi les armoiries des de Faydit, Feydit ou Feydim, seigneurs de Tersac en Quercy, famille originaire du Limousin passée en Quercy : " Burelé dargent et de sinople de dix pièces, chaque burèle dargent chargée dune étoile de gueules, qui est de Feydit ; au chef dazur, parti par un trait de sable, à deux lions affrontés dor, couronnés du même qui est de Sarrazac ancien. (17)"
Lhistoire de Rocamadour, lieu cité par Uc dans sa Vida, a fait lobjet de multiples travaux. Nous ne retiendrons que lessentiel de ce qui sy passait à lépoque de notre troubadour.
Dès le début du XIIe siècle les Bénédictins de Saint-Martin de Tulle se voient confirmer par deux bulles papales l'occupation du sanctuaire au détriment de labbaye de Marcilhac qui en assurait auparavant le service(18). Luvre dEble de Turenne, abbé de Saint-Martin de Tulle de 1112 à 1152, pour développer le pèlerinage sera poursuivie et amplifiée par son successeur, Géraud dEscorailles, de 1152 à 1188. Les pèlerins affluent. Labbé de Marcilhac revendique la possession du sanctuaire, ce qui entraîne un très long procès qui se terminera en faveur des Limousins.
Les XIIe et XIIIe siècles voient limplantation détablissements destinés à nourrir, héberger et soigner les pèlerins. Dans ce contexte les Cisterciens construisent autour de Rocamadour des granges orientées avant tout vers une production céréalière. Lune delles est créée à La Pannonie. Et, " lorsque se termine labbatiat de Géraud I, en 1164, Rocamadour, lieu de pèlerinage européen en expansion grandissante depuis une trentaine dannées, apparaît comme cerné par les possessions des moines dObazine. (19)"
Un repérage, sur le terrain, des chemins qui existaient avant la création des routes actuelles montre que ces moines blancs se positionnent à proximité des voies de communication fréquentées, entre autres, par les pèlerins. À La Pannonie ils sinstallent non loin du chemin reliant Rocamadour à la commanderie des Templiers du Bastit et, au-delà, Figeac ou Marcilhac.(20)
Dun pèlerinage dont les premiers miracles répertoriés sont de 1148 on passe peu à peu à lun des plus grands pèlerinages de la chrétienté auquel se rend, en 1159 puis en 1170, Henri Plantagenêt. La découverte du corps de Saint Amadour en 1166 fait que Rocamajor, la grande grotte, graphie attestée à plusieurs reprises notamment dans la Vida de notre troubadour, devient Rocamadour. On a retrouvé le corps du serviteur de la Vierge, Saint Amadour étant assimilé à Zachée.
En 1172 Les Miracles de Notre-Dame de Rocamadour vont concourir à lédification des pèlerins qui viennent de plus en plus nombreux. Les chemins de Saint Jacques qui longent le nord du Quercy se déportent alors vers Rocamadour où tout a été fait, il faut bien le reconnaître, pour les attirer. Le flux de la Via Podiensis, à partir de Figeac, soriente vers notre cité mariale doù il peut se diriger, à partir de lhôpital Saint-Jacques, vers Saint-Jacques de Compostelle soit par Labastide-Fortanière et Cahors soit par Gourdon et Fumel(21). Quant à laxe nord-sud, la partie la plus importante venant de Limoges passe en Quercy par lHôpital Saint-Jean et Martel.
Signalons aussi le séjour à Rocamadour de Simon de Montfort accompagné du légat pontifical Arnaud pendant lhiver 1211-1212 puis, en 1219, la venue de frère Dominique. Quant à Louis IX, il vient en pèlerinage le 2 mai 1244 après la chute de Montségur.(22)
La notoriété de la Vierge Noire dans la péninsule ibérique est perceptible dans sa présence sur le chemin reliant Roncevaux à Saint-Jacques de Compostelle mais aussi dans les Cantigas. Quant aux légendes carolingiennes qui se développent en Quercy, elles intègrent Rocamadour dans les récits des pèlerins et participent à la réputation de la cité mariale.
En 1181, avec la donation dAlphonse VIII, roi de Castille et de Tolède, des villages dHornillos et d'Orbanella sur le chemin de Saint-Jacques, Notre-Dame de Rocamadour simplante en Espagne. On constate que les pèlerins qui partaient pour Compostelle rencontraient des Pyrénées au terme de leur chemin deux fois la Vierge du Puy, sept fois notre Vierge Noire, la plus représentée de toutes. Les jacquaires pouvaient la solliciter à Sangüesa, Estella, Burgos, Palencia, Hornillos del Camino, Astorga, Vitiriz.(23)
À Palencia une légende veut que l'ermitage de Santa Maria de Rocamador ait été visité par le Cid, fondateur en 1067 de lhôpital voisin de Saint-Lazare. Cela nous amène, sur les chemins de Compostelle jalonnés par la présence de la Vierge de Rocamadour, à la jonction entre les exploits du Cid Campeador et lintervention de Saint Jacques Matamoros à la bataille de Clavijo en 844. Ainsi que le montrent les travaux de Fernandez Pajares(24), la cruz de Oviedo se rattache à ces succès des chrétiens sur les musulmans. Nous allons la décrire puisqu'elle semble avoir influencé les croix quercynoises érigées sur le chemin des pèlerins à Saint-Projet et à Graule-Basse, dans la commune de Carlucet. Elles sont caractérisées par des boulets de pierre suspendus à laide de fil de fer à leurs bras. Les boulets ont disparu à Saint-Projet mais les trous en ayant permis la fixation sont visibles.
Croix dOviedo
Extraites de larticle de Jose Maria Fernadez Pajares.
Croix de Graule-Basse (photo J. Marty-Bazalgues)
Portée par Alphonse II le Chaste, roi des Asturies de 791 à 842, la cruz de Oviedo est caractérisée par lalpha et loméga pendus à ses bras. Par lintermédiaire des Wisigoths, elle remonte à un modèle byzantin et participe aux récits légendaires de la victoire des chrétiens et des Wisigoths sur les musulmans. Elle apparaît dans les Asturies dès le IXe siècle et marque le départ dun art original auquel on doit de remarquables miniatures. Élément décoratif dans les premières pages de nombreux manuscrits jusquau XIIe siècle, elle disparaît alors pour réapparaître du XVIe au XVIIIe siècles.
À partir du XVIe siècle lalpha et loméga sont remplacés, dans un contexte popularisant, par deux anges. La croix dOviedo se transforme alors en croix des anges.
Par la présence des boulets de pierre pendus à leurs bras, les croix de Saint-Projet et de Graule-Basse rappellent la croix dOviedo. Situées sur un axe Rocamadour-Roncevaux par Saint-Projet, Gourdon et Fumel, elles présentent un grand intérêt. Lornementation du fût offre au regard, en partant du bas, la pomme, le serpent (le mal) tête en bas, un cur (lamour qui triomphe du mal), des tibias et un crâne symbolisant lhomme ancien. Vient ensuite le Christ en croix surmonté dune couronne de gloire entourant une colombe. Au-dessus le titulus I.N.R.I. Aucune étude na, à notre connaissance, été consacrée au problème posé par les boulets de ces remarquables croix qui ont parfois donné lieu à de belles images non commentées. Elles ont été sculptées au XVIIIe siècle par un maçon dAuzac du nom dArmand Salesse. Il est évident que ce dernier reprend un modèle ancien et sa riche symbolique. Cest dans ce contexte dévolution de la croix dOviedo quil semble possible de trouver, sur les chemins de Saint-Jacques, un modèle pour ces deux croix peu communes, modèle que lon rencontre aussi sur la Via Tolosana et dans le pueblo de Solosancho à côté dAvila, en Castille(25). Ces croix ont pour dénominateur commun, outre leur ressemblance, dêtre situées sur le chemin de Saint-Jacques. Les croix de Graule et de Saint-Projet devraient attirer lattention des Monuments Historiques.
Comme lépée de Roland, la cruz de Oviedo participe aux récits légendaires de la Reconquête aux côtés de Saint Jacques Matamoros, et du Cid Campeador. Le compagnon du Cid, lévêque-soldat Don Jeronimo qualifié de savant et de lettré, est originaire du Périgord. " Bien entendido es de letras e mucho acordado " dit le Poema de Mio Cid, allusion sans doute à ces lettrés occitans qui influenceront les textes notariés de Navarre, Aragon, Leon et Castille puis la poésie galaïco-portugaise.(26)
Le légendaire attaché aux chemins de pèlerinage est dune telle richesse quil mériterait à lui seul une communication(27). Il faut donc trancher dans le vif en rappelant que les légendes carolingiennes ont été véhiculées par les moines de Cluny sur les chemins roumieux. Cest ce qui explique, à Rocamadour, la présence de la célèbre Durandal.
Ainsi que lattestent de vieilles cartes postales, lépée de Roland était fichée dans le mur du chauffoir des moines, au-dessus du coffre au récit légendaire, à côté de la statue de Saint Dominique. Pour se marier et avoir un enfant il fallait que les jeunes filles touchent ces deux objets. La Durandal a été volée en 1926(28). On la retrouve ensuite refaite à lidentique, sans doute par le forgeron de Couzou, mais à plus de 10 m de haut. Ainsi fut brisée une croyance populaire.
Les reliques que contenait son pommeau ne devaient pas tomber aux mains des Infidèles. Aussi avant de mourir Roland lança-t-il son épée qui vint se ficher dans le rocher de Rocamadour.
Il faut rattacher à ces légendes carolingiennes celle qui est associée à un officier de Charlemagne connu en Quercy sous le nom de Saint Namphaise(29). Au retour de lexpédition d'Espagne il se fit ermite dans la forêt de la Brauhnie et mourut éventré par un taureau. Ses reliques, vénérées à Caniac du Causse, à une trentaine de kilomètres de Rocamadour, étaient réputées guérir le mal caduc et la stérilité. Des points deau de forme rectangulaire et taillés dans le rocher lui sont attribués. Légendes carolingiennes et pérégrination sont si étroitement liées que la vierge pèlerine de Sahagun est dite la Roldana en souvenir de Roldan, Roland.(30)
Quant au bénédictin-poète Gautier de Coincy (1177-1236), il accorde une place à la Vierge de Rocamadour dans ses Miracles de Nostre-Dame tout comme Alphonse X le Sage, roi de Castille et de Leon de 1252 à 1284, dans plusieurs de ses Cantigas.(31) Selon sa Vida, Uc de Saint-Circ se rendit auprès du roi Alphonse VIII de Castille (1154-1214) et Alphonse IX de Leon (1183-1230) sans doute après la mort de Pierre dAragon en 1213 à Muret.
Ces textes ont été maintes fois étudiés, aussi nous semble-t-il préférable de nous attacher aux Cantigas dEscarnho e de Mal Diser,(32) tardives et beaucoup moins connues, mettant en scène de faux pèlerins de Rocamadour. La première est due au troubadour Joan Baveca. Après sêtre moqué dans une cantiga précédente dun pèlerinage de Pero dAmbroa qui, parti pour la Terre Sainte, sest arrêté à Montpellier, il égratigne maintenant le même pèlerin à qui il donne la parole. Cette fois, en route vers Sainte-Marie, il na pas dépassé Roncevaux. Et léditeur des Cantigas souligne quil nétait pas nécessaire, alors, de préciser quil sagit, de lautre côté des Pyrénées appelées la Montagne de Roland, de Sainte Marie de Rocamadour.
La seconde est de Martin Soarez. Elle met en exergue la vantardise et les mensonges dun pèlerin qui prétend avoir visité les lieux saints alors quil n'a pas quitté l'espace galaïco-portugais. Une allusion est faite à un jeune juif de Rocamadour. Derrière la citation dun lieu de culte marial se profile en Don Andreu un de ces commerçants juifs qui parcouraient les routes de Montpellier, ville citée dans la sixième cantiga, à La Rochelle et à la Galice. Sous les rois dAragon et de Majorque (1204-1349), le commerce montpelliérain est florissant et deux familles quercynoises installées à Montpellier avant 1200, les Conques et les Cruzols, vont y jouer un rôle économique et administratif.(33)
Uc de Saint-Circ fut reçu à la cour du roi dAragon Pierre II qui fit en 1207 une donation à la Vierge Noire. Le 2 février 1208 son fils, Jacques Ier le Conquérant, naîtra à Montpellier.(34)
Ses frères envoient Uc poursuivre des études à Montpellier afin den faire un clerc. Il est possible que deux raisons principales expliquent ce choix : lexistence dun axe commercial Montpellier-La Rochelle et la renommée des écoles de cette ville qui se structurent du vivant du troubadour.
Dès la mise en place des échanges commerciaux et jusquà la Révolution française on assiste à une circulation des hommes et des marchandises entre le Quercy et le Languedoc. En 1206 un Raymond de Cahors est consul de Montpellier où certains Quercynois atteignent " à plusieurs reprises les fonctions consulaires entre 1245 et 1336 ".(35)
Uc de Saint-Circ, enfin, a peut-être été témoin de la montée en puissance de la bourgeoisie montpelliéraine qui verra le 15 août 1204 Pierre II dAragon et Marie de Montpellier jurer de respecter les libertés conquises. Quelques années plus tôt a-t-il assisté à la fondation, par Gui de Montpellier, de lOrdre hospitalier du Saint-Esprit ? Cet ordre aura des ramifications en Quercy.
Quant aux facultés, le cardinal Conrad donne, en 1220, ses statuts à la Faculté de Médecine.(36) À partir de ce modèle, le 27 mars 1242 lÉvêque de Maguelone, Jean II de Montlaur, donne à la Salle-lÉvêque les statuts pour la Faculté des Arts. Entre 1204 et 1349, sous les rois dAragon et de Majorque, Montpellier devient une grande ville universitaire. En 1289 ses maîtres peuvent délivrer le grade universitaire le plus élevé de lépoque, la licencia ubique docendi.
Contrairement à Toulouse qui, en 1229, sera une émanation de la bien pensante Sorbonne, Montpellier fait partie de la première génération des universités européennes. Son savoir vient avant tout de lItalie et de lAndalousie musulmane. Dès 1150 le médecin Judah Ben Tibon se fixe à Lunel et apporte en terre doc les connaissances médicales et scientifiques de Cordoue. Aussi lorsque Jacques Duèze, devenu en 1316 Jean XXII, fonda en 1336 dans sa ville natale lUniversité de Cahors, nombre de ses maîtres vinrent de Montpellier.
On constate donc que lorsque Uc étudie à Montpellier, sans doute les dernières années du XIIe siècle ou les premières années du XIIIe, lorganisation des facultés nest pas encore faite. Il devait exister alors diverses écoles, renommées ou modestes, parfois éphémères, où lon enseignait la grammaire, la rhétorique et la logique, ces trois premières branches du savoir étant appelées le trivium. Et lon sait quelles ont été professées à Montpellier par Alain de Lille vers 1190.
Contrairement à ce que pourrait faire entendre sa Vida, Uc de Saint-Circ a dû faire de solides études et notamment apprendre le latin classique qui était alors le préalable à toute spécialisation. Il était donc armé pour écrire en 1240 le Donatz povençal sous le nom dUc Faidit, Uc de Saint-Circ et Uc Faidit n'étant quune seule et même personne. Nous avons de cette grammaire, suivie dun dictionnaire des rimes, une version latine. Cet ouvrage est novateur et permettra à Dante de distinguer le volgare du latino. À partir des travaux de Saverio Guida il faut donc réévaluer lapport dUc de Saint-Circ/Uc Faidit qui fut lun des précurseurs de la Renaissance italienne.
Jacqueline MARTY-BAZALGUES
Docteur de 3e cycle en Études Romanes